[2017-05] Le privilège immobilier spécial - II.- Une efficacité décevante

par Guilhem GIL, Maître de conférences à Aix-Marseille Université
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II.- Une efficacité décevante

En pratique, le privilège immobilier spécial a quelque peu déçu les espoirs qui avaient pu être placés en lui, cette déception conduisant parfois à le qualifier de «reflet d’une pensée mal dégrossie.»23 En effet, lorsqu’il est confronté à la procédure collective du copropriétaire débiteur, son intérêt tend à se réduire comme peau de chagrin, d’une part, en raison de son caractère occulte (A) et, d’autre part, en raison de l’application des règles propres au classement des créanciers dans les procédures collectives (B).


A.- La conséquence du caractère occulte

L’originalité majeure du privilège spécial immobilier du syndicat réside dans le fait qu’il s’agit d’un privilège occulte. Cette caractéristique découle des dispositions de l’article 2378 du Code civil qui dispose que «sont exceptées de la formalité de l’inscription […] les créances du syndicat de copropriétaires énumérées à l’article 2374.» Une telle solution a provoqué la surprise, et parfois les critiques, d’une partie de la doctrine qui a relevé que l’existence d’un privilège spécial dispensé d’inscription constituait «une incongruité à l’égard de la publicité foncière.»24 Quelles qu’aient été les reproches adressés à cette solution, elle découle sans ambigüité des textes et la jurisprudence l’a appliquée fidèlement en considérant notamment que «les privilèges accordés au syndicat par l’article 2103 (ancien) du Code civil sont des privilèges occultes, dispensés des formalités de l’inscription aux termes de l’article 2107 (ancien) dudit Code.»25
La dispense d’inscription, qui a par ailleurs soulevé des difficultés au regard des spécificités du droit d’Alsace-Moselle26, semble avoir été conçue par le législateur comme une faveur présentée aux syndicats de copropriétaires. Mais ce “cadeau” s’est rapidement révélé empoisonné lorsqu’une procédure collective était ouverte contre le débiteur. En effet, comme l’exprima un commentateur27, dans une telle hypothèse, le caractère occulte du privilège a pu «se retourner»28 contre le syndicat. Ainsi que le souligna rapidement une décision largement remarquée des juges du fond29, un syndicat des copropriétaires ne peut échapper à la forclusion, faute d’avoir déclaré à temps sa créance dans la procédure collective, au motif qu’il n’avait pas été avisé par le représentant des créanciers. Comme la même cour l’expliqua de manière plus développée dans un arrêt ultérieur, la dispense de publication posée par l’article 2103 et 2107 (anciens) ne permet pas aux titulaires du privilège spécial immobilier de bénéficier des dispositions de l’article 50 de la loi du 25 janvier 1985 (devenu L. 622-24 du Code de commerce) relatives à l’avertissement personnel des créanciers disposant de sûretés publiées ; observation faite que l’opposition pratiquée successivement ente les mains de l’avocat poursuivant puis entre celles de l’avocat du créancier poursuivant, ne peut avoir valeur de publication au sens de cet article30. Cette analyse fut confirmée par la Cour de cassation qui estima à son tour qu’un syndicat de copropriétaires n’a pas à être averti d’avoir à déclarer sa créance31. Faute d’avoir fait preuve de la plus grande vigilance, le syndicat court donc le risque de laisser passer les délais de déclaration de créances et devra «à l’instar des créanciers chirographaires […] essayer de sauver de l’extinction une créance non déclarée dans le délai en sollicitant un relevé de forclusion.»32


B.- La rétrogradation au sein de l’ordre

Déjà victime, en cas de procédure collective, de la métamorphose d’un avantage en un inconvénient, le syndicat s’expose également à un second désagrément d’ampleur : il est en effet «mieux traité pour les créances nées avant le jugement [d’ouverture de la procédure collective] que pour celles nées après.»33 Cette solution découle d’un avis rendu par la Cour de cassation sur la question de savoir, en cas de liquidation judiciaire du copropriétaire débiteur, quel était le texte s’appliquant pour colloquer un syndicat de copropriétaires. La réponse de la Cour avait consisté à affirmer que «la collocation d’un syndicat de copropriétaires, en raison des créances garanties en vertu de l’article 2103, 1° bis (ancien) du Code civil dont il est titulaire à l’encontre d’un copropriétaire mis en liquidation judiciaire, est soumise, s’agissant de créances nées postérieurement au jugement d’ouverture, aux dispositions de l’article 40, 5° de la loi du 25 janvier 1985, devenu l’article L. 631-32, III, 5° du Code de commerce (aujourd’hui L. 641-13 du Code de commerce)»34
Ainsi que cela a été souligné avec ironie, le syndicat des copropriétaires, pour les créances postérieures au jugement d’ouverture, «se voit gratifié du cinquième rang»35. Non seulement ce rang, «un peu dédaigneusement»36 attribué au syndicat, est le plus bas pouvant être affecté aux créances de l’article L. 641-13 du Code de commerce, mais encore il constitue une rétrogradation du syndicat par rapport au rang qu’il occupe pour les créances antérieures au jugement d’ouverture. En d’autres termes, à suivre cette solution réaffirmée, il y a quelques mois par une décision des juges du fond37, le privilège immobilier du syndicat des copropriétaires «ne se conçoit que pour les charges antérieures. Pour les charges postérieures, c’est le privilège de la procédure collective qui prend le relais et il est ici primé par les droits du créancier hypothécaire.»38 Un tel résultat est effectivement des plus «curieux»39 dès lors que l’octroi au syndicat du bénéfice du privilège de la procédure collective le désavantage par rapport à la situation qu’il connaissait antérieurement.
Il a été néanmoins observé que cette solution, bien que largement évoquée, ne correspond plus nécessairement à la subtilité des règles régissant l’ordonnancement des créances à la suite des nombreuses réformes législatives ayant affecté les procédures collectives40. En effet, en application des principes édictés en dernier lieu par l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, a été établi un nouveau critère d’éligibilité au traitement préférentiel des créances qui ne dépend pas exclusivement d’un simple critère temporel. Pour n’en conserver que l’essence, il en ressort qu’à prendre en pleine considération le principe d’une subordination du classement de la créance à la finalité poursuivie par celle-ci, ne doivent être regardées comme assorties du privilège de la procédure que les sommes dues par un copropriétaire ayant établi dans l’immeuble sa résidence principale ou ayant affecté le lot à l’exploitation de son activité41.


23- Ph. Dupuis, Privilège du syndicat des copropriétaires et liquidation judiciaire des sociétés, Gaz. Pal. 2000, n° 34, p. 3.
24- M. Cabrillac, obs. sous CA Paris, 30 oct. 1998,  JCP E 1999, p. 810.
25- CA Paris, 12 mars 2002, AJDI 2002, p. 770, obs. P. Capoulade.
26- Sur cette question, désormais réglée par la loi , v. CA Colmar, 2 avr. 1998, RDI 1999, p. 137, obs. Ph. Théry. Adde : T. inst. Huningue, 16 nov. 1995, RDI 1996, p. 417, obs. P. Capoulade & Cl. Giverdon.
27- A. Lienhard., obs. sous CA Paris, 8 fév. 2001, D. 2001, p. 1244.
28- A. Lienhard., obs. sous CA Paris, 8 fév. 2001, précit.
29-  CA Paris, 30 oct. 1998,  D. 1998, IR p. 263, D. Aff. 1999, p. 36, JCP E 1999, p. 810, obs. M. Cabrillac, Act. Proc. Coll. 1999, n° 33, obs. J. Vallansan.
30-  CA Paris, 8 fév. 2001, AJDI 2001, p. 888, obs. P. Capoulade.- D. 2001, p. 1244, obs. A. Lienhard. Dans le même sens : CA Paris, 12 mars 2002, AJDI 2002, p. 770, obs. P. Capoulade, relevant que les privilèges accordés au syndicat par l’article 2103 ancien «ne peuvent être assimilés à ceux ayant fait l’objet d’une publication. » 
31- Cass. com. , 4 mars 2003, n° 00-11.952, AJDI 2003, p. 513, obs. Cl. Giverdon, RTD com. 2003, obs. A. Martin-Serf.
32- A. Lienhard, obs. sous CA Paris, 8 fév. 2001, D. 2001, p. 1244.
33- Ph. Théry, obs. sous Cass., avis, 21 janv. 2002, n° 01-00009, Defrénois 2002, p. 1092.
34- Cass., avis, 21 janv. 2002, n° 01-00009, Defrénois 2002, p. 1092, obs. Ph. Théry, RTD com. 2002, p. 727, obs. A. Martin-Serf.
35- A. Martin-Serf, obs. sous Cass., avis, 21 janv. 2002, n° 01-00009, précit.
36- F. Givord, Cl. Giverdon & P. Capoulade, op. cit., n° 357.
37- CA Caen, 7 avr. 2015, Lettre d’actualité des proc. coll. civ. et co., mai 2015, alerte 142, obs. P. Cagnoli.
38- P. Cagnoli, obs. 55 CA Caen, 7 avr. 2015, précit.
39- P. Cagnoli, obs. 55 CA Caen, 7 avr. 2015, précit.
40- M. Cazajus, Le sort de la créance du syndicat des copropriétaires en liquidation judiciaire, Dr. et patrim. 2015, n° 249 
41- M. Cazajus, op. cit., loc. cit.