[2017-05] Le privilège immobilier spécial

par Guilhem GIL, Maître de conférences à Aix-Marseille Université
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Le privilège immobilier spécial dont jouit le syndicat des copropriétaires lui a été octroyé par la loi n° 94-624 du 21 juillet 1994 relative à l’habitat. Ce texte, dont l’une des finalités était de favoriser l’amélioration des copropriétés, a tiré le constat d’une insuffisance marquée des moyens d’actions du syndicat en matière de recouvrement des charges. Ainsi que cela fut abondamment souligné1, l’hypothèque légale dont bénéficiait le syndicat s’avérait tout à la fois coûteuse à maintenir en raison des inscriptions répétitives et relativement inefficace puisque le prix de vente du lot était fréquemment attribué à des créanciers mieux placés en rang ou en temps2.


Dès lors, face à l’inadéquation des instruments offerts par le droit positif, il fut résolu de compléter la palette des outils nécessaires au recouvrement des créances du syndicat en insérant dans la loi du 10 juillet 1965, un article 19-1 disposant que «l’obligation de participer aux charges et aux travaux mentionnés aux articles 10 et 30 est garantie par le privilège immobilier spécial prévu par l’article 2103 (devenu l’article 2374) du Code civil.» Aussi, le syndicat des copropriétaires fut-il autorisé à entrer dans le cercle très fermé des bénéficiaires d’un privilège immobilier. Rares sont en effet ceux qui se voient accorder une telle faveur puisque l’article 2374 du Code civil dénombre moins d’une dizaine de privilèges immobiliers spéciaux. La parcimonie avec laquelle le législateur accorde ce traitement particulier résulte, comme on l’a expliqué, du fait que «le rang prioritaire reconnu aux privilèges immobiliers spéciaux constituerait une menace pour le crédit immobilier si ces sûretés étaient trop nombreuses et attachées à des créances dont le fait générateur est, pour des tiers, difficile à connaître.»
L’octroi au syndicat d’un tel bénéfice a parfois été remis en question par certaines voix. A ainsi été posée la question de savoir si les créances du syndicat auraient «un intérêt si important pour mériter un tel privilège ?». Les auteurs de cette interrogation ont notamment souligné qu’il eut été, d’une part, plus simple d’améliorer le fonctionnement de l’hypothèque légale du syndicat que de créer un nouveau droit exorbitant et, d’autre part, plus efficace de rappeler aux débiteurs l’existence de leurs obligations, et aux syndics d’employer à bon escient les voies d’exécution que leur offre la loi. Malgré ces quelques voix discordantes, l’octroi au syndicat de ce privilège a globalement été bien accueilli par la doctrine, certains s’enthousiasmant même à l’idée que le syndicat soit désormais titulaire d’un «super-privilège.» Plus de vingt ans après son introduction dans le statut de la copropriété et malgré les tentatives récentes ayant pu être faites pour améliorer le dispositif, on ne peut que constater un désenchantement certain envers cet outil qui, déjà soumis à des conditions d’application exigeantes (I), n’a manifestement pas réussi à tenir ses promesses lorsqu’il se trouve confronté à l’épreuve des procédures collectives (II).


 

1- V. not. L. Guégan, A propos du privilège immobilier spécial du syndicat des copropriétaires, Administrer oct. 2015, p. 38.
2- F. Givord, Cl. Giverdon & P. Capoulade, La copropriété, Dalloz Action, n° 339.
3- Ph. Delebecque, F.J. Pansier& V. Brémond, J.-Cl. Procédures formulaires, Fasc. 10, Privilèges, n° 4
4- Ph. Delebecque& Ph. Simler, Le privilège spécial immobilier du syndicat des copropriétaires, RDI 1994, p. 482.
5- V. contre cette qualification de «superprivilège » : P. Capoulade, obs. sous CA Paris, 10 oct. 2000, AJDI 2001, p. 614 & CA Paris, 19 mai 2005, AJDI 2005, p. 910. 
6- V. en ce sens, le titre de la chronique de J. Hocquard, Privilège du syndicat des copropriétaires : de la divine surprise à la divine comédie, Administrer oct. 2002, p. 8.