[2017-06] - La notion de local dans le bail commercial - C.- La notion de local accessoire

par Bertrand Raclet, avocat spécialiste du droit immobilier, et Ornella Giannetti, avocat
Affichages : 38957

Index de l'article

 

 

 

 

C.- La notion de local accessoire

 

Il est apparu légitime de protéger le local accessoire, au même titre que le local principal, dans la mesure où il est essentiel au bon déroulement de l’activité commercial exercée dans le local principal.

L’article L.145-1 I 1° étend en effet la protection du statut aux baux de locaux ou d'immeubles accessoires à l'exploitation d'un fonds de commerce :

- quand leur privation est de nature à compromettre l’exploitation du fonds ;

- et qu'ils appartiennent au propriétaire du local ou de l'immeuble où est situé l'établissement principal ou, en cas de pluralité de propriétaires, à la condition que les locaux accessoires aient été loués au vu et au su du bailleur en vue de l'utilisation jointe.

Le local accessoire se définit par opposition au local principal.

Le local principal est celui dans lequel le fonds est exploité ; il s’agit du lieu où l’on reçoit la clientèle et où les actes de commerces sont réalisés. Pour bénéficier de plein droit du statut des baux commerciaux, le local doit être principal, par opposition au local accessoire.

Le local accessoire se distingue également des locaux annexes.

Locaux accessoires et locaux annexes constituent certes des dépendances du local principal (caves, réserves, remises, garages, archives…) et ont la même finalité, mais ne bénéficient pas de la même protection.

Les locaux accessoires sont loués séparément du local principal où s’exerce l’activité et en vertu d’une convention distincte, étant précisé que le bailleur peut être différent de celui du bail principal.

Les locaux annexes sont, généralement, contigus au local principal et sont loués dans le cadre du même contrat que le bail des locaux principaux.

Ils bénéficient automatiquement de la protection du statut des baux commerciaux, à raison de l’indivisibilité du bail, du moins à condition d’être loués au titre du même contrat.

Enfin, le local accessoire se définit également par opposition à l’établissement secondaire, qui lui-même réfère à la notion d’établissement principal.

L’établissement secondaire est défini par l’article R. 123-40 du Code de commerce comme «tout établissement permanent, distinct du siège social ou de l'établissement principal et dirigé par la personne tenue à l'immatriculation, un préposé ou une personne ayant le pouvoir de lier des rapports juridiques avec les tiers».

Ainsi, établissements principal et secondaire sont, au sens des baux commerciaux, des locaux principaux, s’agissant d’un lieu d’exploitation commerciale et nécessitent tous deux une immatriculation distincte, pour bénéficier du statut.

En revanche, un local accessoire, auquel la clientèle n’a pas accès et/ou aucun acte de commerce n’est effectué ne peut revêtir la qualification d’établissement principal, ni même celle d’établissement secondaire et ne nécessite pas de remplir la condition d’immatriculation.

La distinction entre local accessoire et établissement secondaire peut s’avérer délicate.

Ainsi, ce qui était initialement seulement un local accessoire, peut devenir avec le temps un établissement secondaire, avec le développement d’activités dans les lieux qui n’étaient pas exercées au départ et relèvent de l’exploitation du fonds.

La jurisprudence considère que l’exploitation du fonds dans le local est incompatible avec la notion de local accessoire.

La notion d’exploitation du fonds s’entend certes de la réception physique de la clientèle dans le local accessoire.

Ainsi, la Cour de cassation précise-t-elle que le local accessoire est celui dans lequel un fonds n’est pas distinctement exploité, ce que la cour d’appel d’Aix-en-Provence décrit comme un local dans lequel le fonds n’est pas «directement exploité».

La notion d’exploitation du fonds étant susceptible d’interprétation, et peut-être d’évolution avec le développement notamment de formes moins traditionnelles du commerce, notamment le traitement par internet de la clientèle, la prudence recommandera au locataire de s’immatriculer à l’adresse du local réputé accessoire, même si, dans son principe, elle ne s’impose normalement pas.

Il reste qu’aux termes des dispositions légales, le local accessoire n’est protégé par le statut que s’il est nécessaire à l’exploitation du fonds, et il n’existe, en principe, qu’autant qu’un local principal existe.

Cette solution apparaît a priori évidente dans la mesure où l’extension de la protection du statut au local accessoire suppose que le local principal soit lui-même protégé.

La jurisprudence a refusé dans un premier temps de faire bénéficier la protection du statut pour les locaux accessoires de certaines professions, telles que les marchands de quatre-saisons ou de glace, les forains ou taxis, faute d’existence d’un local principal.

Cette position s’est, par la suite, assouplie et la Cour de cassation a admis la protection du local de remise d’un marchand forain, quand bien même il n’avait pas de local principal, s’il est établi qu’il est nécessaire à l’exploitation du fonds. Le local principal est depuis considéré, dans ces cas, comme le lieu où s’exerce habituellement l’activité de l’entreprise.

En ce qui ce qui concerne les conditions visées à l’article L.145-1 I 1°, la jurisprudence rappelle qu’elles sont cumulatives et il appartiendra au locataire de rapporter la preuve d’y satisfaire, la Cour de cassation n’hésitant pas à censurer les décisions dans lesquelles les juges du fond n’ont pas recherché si ces conditions étaient réunies.

S’agissant de l’information du bailleur quant à l’utilisation conjointe des locaux, il faut distinguer, selon le texte, suivant que le local principal et le local accessoire sont loués au locataire par le même bailleur ou par des bailleurs différents. Dès lors que les locaux principal et accessoire sont loués au locataire, en vertu de deux baux distincts, par le même bailleur, ce dernier est présumé connaître l’utilisation jointe du local principal et accessoire. Dans cette hypothèse, le local accessoire sera protégé dès lors que sa privation est de nature à compromettre l’exploitation du fonds.

Si le local accessoire appartient à un propriétaire différent de celui du local principal, la condition tenant au caractère indispensable du local accessoire reste exigible, mais le locataire devra également rapporter la preuve que le bailleur du local accessoire, savait que la location accessoire était consentie en vue d’une utilisation jointe avec le local principal (notes 30 et 31, ). Cette condition s’apprécie au moment de la formation du bail portant sur le local accessoire et peut résulter d’une simple connaissance en fait du bailleur de la situation.

Enfin, le texte prévoit que le local accessoire ne sera susceptible d’être protégé que si sa «privation est de nature à compromettre l’exploitation du fonds», c’est-à-dire si la perte du local est de nature à affecter l’existence même du fonds, entraînant ,par exemple ,la perte de la clientèle.

La condition doit être appréciée au moment de la date de délivrance du congé et uniquement au regard de l’exploitation, sans considération des possibilités de remplacement du local accessoire, dont le preneur pourrait disposer par ailleurs. Le bailleur ne peut ainsi s’exonérer de ses obligations en soutenant que le local accessoire peut être aisément remplacé. En l’espèce, le bailleur proposait en remplacement de la cave louée au locataire, à titre de local accessoire, que le locataire entrepose ses marchandises dans la maison, propriété de ce dernier. En revanche, la protection du statut n’est pas assurée lorsque le local accessoire ne constitue qu’une commodité ou que l’exploitation serait plus onéreuse sans ce local.

La recherche du caractère indispensable du local accessoire à l’exploitation du fonds ,est soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond ; elle donne lieu à des solutions différentes selon les cas d’espèce :

- l’entrepôt d’un marchand de fleurs a été jugé indispensable ainsi qu’un entrepôt proche du lieu de vente pour stocker des marchandises de luxe à la différence de l’entrepôt de bois d’une société à activités multiples ou encore de l’entrepôt destiné à stocker les pneumatiques pour un commerce de caoutchouc/ ;

- un garage est indispensable dès lors que qu’il sert à garer le véhicule servant à la livraison à domicile, étant donné les difficultés de stationnement situées dans le secteur ou encore un local accessoire à usage de remise et de garage a été considéré comme indispensable pour le grossiste répartiteur de produits pharmaceutiques, cette activité exigeant des chargements et déchargements rapides des produits en toute sécurité ;

- sont encore jugés nécessaires la cave d’un restaurant, un vestiaire pour une salle de sport, un local contenant des archives confidentielles devant être consultées plusieurs fois par semaine.

A l’inverse, ne constitue pas un local accessoire protégé, le garage attenant au fonds de boulangerie-pâtisserie, le stockage et la livraison pouvant être exercés dans un local de remplacement, ni les garages d’une entreprise de taxis-ambulances et de ramassage scolaire.

Les solutions issues de la jurisprudence relèvent, là encore, principalement de la casuistique. La jurisprudence prend en compte, sans que ce critère soit toutefois déterminant, la distance des locaux accessoires par rapport aux locaux principaux. Enfin, il convient de relever que si le local accessoire est soumis, par l’extension légale, au statut, à raison de la réunion des conditions d’application ci-dessus, il sera soumis aux dispositions du Code de commerce, notamment en ce qui concerne le congé. En revanche, si les conditions ne sont pas réunies, le local accessoire reste soumis aux seules dispositions du Code civil.

Devant ce recensement jurisprudentiel, on constate qu’aux côtés de la traditionnelle boutique en pied d’immeuble, avec son enseigne éclairée, sa devanture pimpante et son arrière-boutique mystérieuse, coexistent des formes plus inattendues d’activités susceptibles de bénéficier du statut, malgré une certaine précarité ou une destination du local qui n’apparaît pas commerciale d’évidence. Il reste que le bail commercial est un outil juridique gage d’une stabilité souvent recherchée par les parties.

A ce titre, l’adoption volontaire du statut, notamment pour les ateliers ou entrepôts, est une réponse pratique à certaines interrogations qui peuvent se poser.