[2018-09] - L’indivision et les mesures urgentes en matière immobilière* (NL)

par Jean-Louis BERGEL - Professeur émérite de l’Université d’Aix-Marseille Avocat honoraire
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*Chronique issue des actes du colloque ''L'urgence et l'immeuble'' - 1er juin 2018 - Aix en Provence


Dans un immeuble en indivision, bon nombre de situations requièrent des mesures urgentes. Certaines d’entre elles relèvent d’exigences susceptibles de se produire dans tout immeuble, mais sont tributaires des droits et des rapports juridiques particuliers qu’engendre l’indivision dans laquelle il se trouve. D’autres procèdent directement de l’existence et du régime juridique de toute indivision, mais s’appliquent à un ou des immeubles déterminés. Toutefois, indépendamment de l’appréciation de leur caractère d’urgence et des mesures qui permettent d’y répondre, ces problèmes sont inéluctablement teintés de considérations spécifiques aux indivisions considérées et tributaires du contexte juridique et humain qui leur est propre.

L’urgence en matière d’immeuble en indivision ne se comprend et ne peut se traiter qu’en fonction du contexte particulier des situations d’indivision concernées, car celles-ci impliquent nécessairement des considérations différentes. Toutes les indivisions ne sont pas aussi paisibles et sereines qu’on pourrait le souhaiter, loin de là… Elles peuvent impliquer des antagonismes violents, tant elles peuvent receler de passions, de frustrations, d’égoïsmes, voire d’âpreté, et de rancœurs ou de rivalités, voire de haine… Selon les cas, les mesures à prendre sont plus ou moins conflictuelles…

L’immeuble dont il s’agit peut, d’autre part, se trouver en indivision ordinaire ou en indivision forcée et perpétuelle.
Certaines indivisions perpétuelles sont dénuées de statut propre et seulement soustraites au partage. Elles concernent des biens indivis nécessaires à l’usage de deux ou plusieurs autres biens appartenant à des propriétaires différents et qui en constituent l’accessoire indispensable : cours communes, couloirs communs à des bâtiments, dépendances communes…Il ne peut y être mis fin que du consentement unanime de tous les propriétaires des biens dont la dépendance constitue l’accessoire1. D’autres indivisions forcées et perpétuelles sont soumises à un régime spécifique, celui de la mitoyenneté ou celui de la copropriété des immeubles bâtis. Elles ne seront pas traitées ici.

L’indivision ordinaire est, en revanche, celle qui nous intéresse. Les problèmes qui s’y manifestent sont alors différents selon qu’elle procède d’une situation fortuite ou d’une situation volontaire et selon qu’on est confronté à des situations transitoires ou à des situations durables.
Selon l’article 1873-2 du Code civil, «les co-indivisaires, s’ils y consentent tous, peuvent convenir de demeurer dans l’indivision». A peine de nullité, la convention doit être établie par un écrit comportant la désignation des biens indivis et l’indication des quote-parts appartenant à chaque indivisaire… Si les biens indivis comprennent des immeubles, il y a lieu de procéder aux formalités de publicité foncière.

L’article 1873-3 prévoit alors que «la convention peut être conclue pour une durée déterminée qui ne saurait être supérieure à cinq ans et qu’elle est renouvelable par une décision expresse des parties, ou par tacite reconduction pour une durée déterminée ou indéterminée, s’il en a été décidé ainsi par les indivisaires. La convention peut également être conclue pour une durée indéterminée».

L’indivision est alors généralement organisée par les parties, dans leur convention. L’article 1873-1 du Code civil dispose, en effet, que «ceux qui ont des droits à exercer sur des biens indivis, à titre de propriétaires, de nus-propriétaires ou d’usufruitiers peuvent passer des conventions relatives à l’exercice de ces droits». Ils peuvent notamment nommer un ou plusieurs gérants choisis ou non parmi eux. Les gérants représentent les indivisaires pour les actes de la vie civile et en justice, dans la mesure de leurs pouvoirs, et ils administrent l’indivision.

En revanche, tel n’est pas le cas des indivisions spontanées, consécutives, par exemple, à l’ouverture d’une succession ou d’une indivision post-communautaire engendrée par un divorce ou par le décès de l’un des conjoints mariés en communauté. C’est là, en particulier, que des dissensions surgissent souvent entre les intéressés et risquent de dégénérer, au risque d’entraver toute mesure raisonnable, en cas d’urgence surtout. C’est alors au régime légal de l’indivision qu’il faut avoir recours. Il comporte diverses dispositions qui doivent permettre de prescrire des mesures appropriées à régler les éventuels différends entre indivisaires, le cas échéant, en urgence (I). Encore faut-il déterminer les procédures d’urgence (II) qui peuvent y conduire. Autrement dit, en l’absence d’accord entre les indivisaires, il s’agit de savoir quoi faire et comment le faire… Il nous incombe, dès lors, de tenter ici de répondre successivement à ces deux questions.

1 - p. ex.,  Cass. 3e civ. 26 nov. 2013, n°12-11885 ; Cass. 1ère civ., 18 déc. 2013, n° 12-26255.