[2018-09] - La place du référé judiciaire* (NL)

par Philippe MARIN - Avocat aux barreaux de Toulon et de Paris
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L’urgence et l’immeuble”, thème du colloque, nous conduit à évoquer naturellement l’intervention du juge des référés judiciaire, tant il apparait comme le juge naturel de l’urgence.

*Chronique issue des actes du colloque ''L'urgence et l'immeuble'' - 1er juin 2018 - Aix en Provence

En pratique, on observe que les avantages du référé, et notamment du référé-expertise, en font une des principales portes d’entrée du contentieux des désordres immobiliers. Il est bien entendu également souvent sollicité en matière de dommages imminents ou pour faire cesser des troubles illicites entre voisins ou au sein des copropriétés.

En fait, si la saisine du juge des référés a régulièrement augmenté jusqu’en 2012, la tendance est à la baisse continue depuis 5 ans. Cette tendance s’inscrit dans une décrue générale du volume du contentieux.
Parallèlement, les délais moyens de réalisation des expertises se sont globalement allongés, passant de 10 à 15 mois entre 2011 et 2017, et même 17 mois pour les expertises ordonnées en référé.

On peut ainsi estimer qu’en 2011, près de 80 millions d’euros ont été consignés au titre de l’expertise auprès des greffes des tribunaux de grande instance. Cette somme a été multipliée par trois, atteignant en 2016/2017 près de 240 millions d’euros1.

Dans tous les cas de figure, le juge des référés pose deux questions : d’une part, celle de son périmètre d‘intervention en matière immobilière (I) et, d’autre part, celle de la concurrence chronologique des juges des référés et du fond (II).

C’est donc une approche spatiale, puis temporelle, du recours au juge des référés qui structure cette intervention, même si les deux notions s’entrecroisent.

1 - Les expertise judiciaires civiles devant les tribunaux de grande instance et les cours d’appel (2010-2017p) DACS-PEJC janvier 2018.


 I.- Le périmètre d'intervention du juge des référés en matière immobilière

Au visa des articles 145, 808 ou 809 du Code de procédure civile (CPC), le juge des référés est sollicité à diverses occasions en matière immobilière, et il a plutôt les faveurs de la jurisprudence.
Sans pouvoir être exhaustif, nous allons illustrer par quelques exemples le caractère protéiforme de la frontière de compétence du juge des référés en matière immobilière.

1.- L’urgence en matière de publicité foncière

En application des articles 2440 et 2442 du Code civil, les inscriptions «des privilèges et des hypothèques» au bureau des hypothèques ne peuvent être rayées «que du consentement des parties intéressées ou en vertu d’un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée».

L’urgence de certaines situations provoquées par l’immobilisation d’un bien immobilier en raison de la publication d’un acte qui ne pouvait pas l’être, s’accommode parfois mal de ces dispositions, et la tentation est grande, quand il n’y a pas de contestation sérieuse sur la nécessité et l’urgence, de radier une publication de saisir le juge des référés.

La Cour de cassation a été sensible à cette nécessité et a jugé en 2013 que lorsqu’une personne ne disposait «d’aucun droit justifiant qu’il fût procédé à la publication de [l’acte] à la conservation des hypothèques alors (...) qu’il y avait urgence à [lui permettre de disposer du bien] actuellement immobilisé, (...) aucune contestation sérieuse ne s’opposait à la radiation» par le juge des référés2.

Dans un arrêt en date du 15 juin 2017 largement publié, la troisième chambre civile de la Cour de cassation3 est revenue sur la compétence et le pouvoir du juge des référés saisi au visa de l’article 808 du CPC, dans le cas où a été publié un acte qui, sans contestation possible, ne pouvait pas faire l’objet d’une publication. La question revenait à savoir si le juge des référés pouvait ou non ordonner une mesure visant à retirer tout effet à la publication réalisée.

Par cet arrêt, la Cour de cassation considère que l’urgence était bien caractérisée par l’atteinte portée au droit de propriété, justifiant ainsi le recours au juge des référés. Mais, contrairement à l’analyse du juge d’appel, et par un revirement sur sa jurisprudence précédente, la Cour suprême considère que pour mettre un terme à la publication de l’acte litigieux, il convenait de la sanctionner non par une [...].

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