[2017-04] - L’obligation réelle environnementale : un objet juridique non identifié ?

par Guilhem GIL, maître de conférences à Aix-Marseille Université
Affichages : 21516

Index de l'article

Ayant pour ambition de reconquérir la biodiversité, la nature et les paysages, la loi du 8 août 2016, parmi les nombreuses mesures que comporte ce texte de nature «encyclopédique», a visé à enrichir la palette des instruments juridiques offerts à des propriétaires fonciers soucieux de vouloir contribuer volontairement à la protection de l’environnement. A cette fin, elle introduit au sein du Code de l’environnement un nouvel article L. 132-3 portant création de la notion d’obligation réelle environnementale. Aux termes de ce texte, «les propriétaires de biens immobiliers peuvent conclure un contrat avec une collectivité publique, un établissement public ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement en vue de faire naitre à leur charge, ainsi qu’à la charge des propriétaires ultérieurs du bien, les obligations réelles que bon leur semble, dès lors que de telles obligations ont pour finalité le maintien, la conservation, la gestion ou la restauration d’éléments de la biodiversité ou des fonctions écologiques.»

 

Ce nouvel instrument, qui a pu être qualifié «d’objet juridique non identifié»2, est le fruit du constat des insuffisances présentées par le droit antérieur qui n’offrait qu’un nombre limité de ressources aux propriétaires désireux de participer spontanément à la protection de l’environnement. La première voie envisageable consiste, pour ces propriétaires, à conclure des conventions avec des tiers partageant leurs préoccupations environnementales. Cette méthode contractuelle peut, notamment, se traduire par l’insertion dans un bail rural de clauses environnementales. Il peut également s’agir de conventions de gestion mettant le bien à la disposition d’une personne qualifiée en matière de protection de l’environnement, telle qu’une association ou le conservatoire de l’espace littoral. Mais, parce qu’elle résulte d’une convention, la protection ainsi mise en place présente la faiblesse inhérente aux droits personnels qui «ne grèvent pas le bien et ne transmettent pas les obligations aux différents ayants droit.»

La pérennité du dispositif de protection appliqué au bien passe donc nécessairement par le recours à la notion de charge réelle et donc par les servitudes conventionnelles. Mais le régime juridique de ces dernières les rend ici inadéquates pour deux raisons principales. D’une part, aux termes de l’article 686 du Code civil, les services fonciers ne peuvent être imposés ni à la personne ni en faveur de la personne mais seulement à un fonds et pour un fonds. Grever un immeuble d’une servitude conventionnelle environnementale n’est donc envisageable qu’à condition de trouver au préalable un fonds dominant en faveur duquel serait établi le service. La tâche n’est certes pas absolument impossible. On peut en effet songer à détacher par vente ou donation une fraction de ce qui deviendra le fonds servant pour créer ainsi un fonds dominant voisin. Mais, outre le fait qu’elle impose au propriétaire de se départir irrémédiablement d’une partie de son bien, cette méthode relève tellement de l’artifice que sa légitimité paraît bien faible. En effet, la charge que permettra de créer cette division formelle n’est objectivement pas conforme au principe de l’article 637 du Code civil imposant qu’elle soit constituée «pour l’usage et l’utilité» du fonds dominant. D’autre part, il est constant qu’une servitude conventionnelle «ne peut jamais consister en une obligation de faire.» Cette prohibition des servitudes in faciendo cantonne donc cet instrument dans le domaine «des obligations passives, ce qui nuit à une gestion active visant à protéger durablement la biodiversité.»

Insatisfaisante du point de vue des propriétaires, l’offre de ressources s’est avéré l’être tout autant du point de vue des acteurs institutionnels ou para-institutionnels de la protection de la biodiversité. Ainsi qu’en témoigne certaines études étrangères mais dont les conclusions étaient tout à fait transposables à la France, le seul véritable moyen efficace de garantir durablement la préservation de la biodiversité sur un espace donné consistait pour ces acteurs à acquérir la propriété de cet espace. Or, cette faculté se heurte à deux obstacles évidents. Non seulement son coût particulièrement élevé épuise rapidement les capacités financières de ces acteurs mais encore cette démarche, si tant est qu’elle soit économiquement réalisable, demeure tributaire de la volonté des propriétaires de céder tout ou partie de leur patrimoine foncier. Néanmoins, on peut tout à fait concevoir l’hypothèse dans laquelle un de ces propriétaires serait tout à fait disposé à affecter durablement son bien à la satisfaction de considérations environnementales sans pour autant vouloir en céder la propriété. Réciproquement, un acteur de la protection de l’environnement, propriétaire d’un immeuble, peut fort bien, une fois la biodiversité préservée sur ce site, vouloir céder ce bien mais ne le fera de toute évidence qu’à condition d’avoir la garantie que les propriétaires successifs de celui-ci respecteront le travail effectué et assumeront à leur tour la tâche de conserver l’environnement.

Le constat dressé par les promoteurs de la loi du 8 août 2016 a donc été celui d’une insuffisance de l’arsenal juridique existant qui, en matière de protection de l’environnement, reposait trop largement sur des mesures contraignantes et n’offrait, s’agissant d’une implication volontaire dans cet enjeu, qu’une «base contractuelle insuffisamment pérenne ou exigeante.» Le parti a donc été pris de s’inspirer de systèmes étrangers ayant su introduire les outils juridiques permettant à un propriétaire de créer «des obligations durables de gestion d’éléments de la biodiversité ou de services écosystémiques.» La principale source d’inspiration a résidé ici dans les avancées réalisées par certains droits anglo-saxons étant parvenus à dépasser les obstacles apportés par les concepts traditionnels de droit personnel et de servitude. En ce domaine, les Etats-Unis ont joué un rôle pionnier puisque les premières lois d’Etats fédérés autorisant les propriétaires à consentir sur leur fonds des obligations réelles environnementales au travers de «conservation covenants» remontent aux années 1950. Edictées afin de libérer ce type d’instrument des contraintes que faisaient peser sur lui les règles ordinaires encadrant les servitudes, ces lois se sont multipliées jusqu’à être aujourd’hui présentes dans la législation de quasiment tous les Etats fédérés. Ce dispositif a connu, principalement en raison des incitations fiscales qu’il comporte, un réel succès et on estime qu’il existe aux Etats-Unis environ 100 000 contrats de ce type couvrant plus de 7 millions d’hectares. La pratique des «conservation covenants» s’est étendue à partir des années 1970 au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande, rencontrant à chaque fois un réel écho en pratique.

En Europe, le concept a été introduit en Ecosse au début des années 2000 à l’occasion de l’abolition des vestiges du système féodal, et la Suisse a mis en place, à la même époque, la notion de charge foncière consistant en une obligation que doit le propriétaire, sur son immeuble, à une tierce personne et non pas à un fonds dominant. En ce qui concerne la France, l’introduction d’un tel dispositif est envisagée depuis les travaux du Grenelle de l’environnement. Dans un rapport publié en 2008, le comité opérationnel «trames bleues et vertes» avait recommandé la mise en place d’un instrument inspiré des servitudes conventionnelles de droit civil et permettant de pérenniser les actions en faveur de la protection de la biodiversité au travers de la constitution d’une «auto-servitude» ou de l’acceptation d’une obligation réelle. Ces propositions ont été reprises en 2011 par un rapport d’information parlementaire proposant l’introduction en droit français d’un dispositif de servitude conventionnelle environnementale ou, alternativement, d’obligation réelle environnementale.

Les dispositifs mis en place par les divers systèmes étrangers, bien que comportant chacun leurs spécificités destinées à répondre aux besoins ou aux traditions locales, ont en partage avec les propositions formulées en France de permettre à un propriétaire foncier de souscrire un engagement volontaire réalisé dans un but d’intérêt général et au profit d’une personne morale, cet engagement ayant vocation à continuer d’être mis en œuvre même après que le bien qui en fait l’objet soit sorti du patrimoine de l’auteur de l’engagement. Ce sont ces traits caractéristiques que l’on retrouve dans le concept d’obligation réelle environnementale : par un engagement volontaire (I), le droit de propriété de l’une des parties se voit affecté d’une charge à visée environnementale (II) qui sera transmise avec la titularité du fonds.