[BAIL D'HABITATION] - Encadrement des loyers : les sanctions

par François De La Vaissière - Avocat honoraire au barreau de Paris
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Décret n° 2019-437 du 13 mai 2019 (JO du 14 mai 2019) relatif aux modalités d’application de la mise en demeure en cas de non-respect du dispositif expérimental d’encadrement du niveau des loyers et au recouvrement des amendes administratives dans le cadre des rapports locatifs).

Après un premier décret de validation de l’encadrement des loyers pour la ville de Paris (n° 2019-315 du 12 avril 2019), qui autorise désormais le préfet de région à (re)prendre par arrêté la fixation des loyers médians de référence, dont la version issue de la loi ALUR a été annulée par la justice administrative (cf. cette revue, septembre 2018, p. 131), voici le second décret d’application de l’article 140 de la loi ELAN qui contient – de façon autonome de la loi du 6 juillet 1989 qui l’intégrait précédemment – le dispositif prolongé expérimentalement pour 5 ans de l’encadrement des loyers, à peu près dans les mêmes termes.

Le décret commenté aborde les modalités des sanctions par lesquelles le préfet peut, dans chaque zone tendue s’étant déclarée volontaire pour relever de l’encadrement des loyers, nouvelle formule post-ELAN, contraindre les bailleurs à respecter le mécanisme particulier de fixation du loyer de résidence principale. Ledit décret n’a pas que cet objectif, car il comporte aussi une actualisation purement formelle d’autres mécanismes mis en place par la loi ALUR du 24 mars 2014, en l’occurrence ceux des décrets du 31 aout 1990 modifié, du décret du 10 juin 2015, du décret du 27 juillet 2017 (dans tous ces cas par renvoi à l’article 140 de la loi ELAN et non plus à la loi du 6 juillet 1989), mais également une insertion au Code de la construction et de l’habitation (CCH) de deux nouveaux articles, et une adjonction au décret du 5 novembre 2015 relatif à la fourniture des pièces justificatives par les candidats à une location d’habitat principal.

Sur l’aspect de la coordination des textes, il fallait bien mettre en harmonie les décrets successifs pris après la loi ALUR avec la nouvelle présentation adoptée par la loi ELAN du 23 mars 2019, qui isole l’encadrement des loyers dans son article 140, pour ne plus en faire une composante du régime de base de la loi du 6 juillet 1989. En réalité, cette dernière innovation a deux explications.
La première étant que l’encadrement des loyers était prévu pour couvrir l’ensemble des zones tendues, mais qu’il a été artificiellement et volontairement réduit aux seules villes de Paris et de Lille, à titre expérimental, en raison d’un impact potentiel sur l’investissement locatif, et que, dès lors, le texte général était devenu un texte spécial et territorialement limité par les choix opérés par l’exécutif (gouvernement Valls 2) ; le Conseil d’Etat avait condamné cette dérive par son arrêt n° 391654 du 15 mars 2017.
La seconde explication étant que l’encadrement redéfini par la loi ELAN n’est pas plus un texte général puisqu’il n’est applicable que dans celles des zones tendues qui se porteraient volontaires pour en bénéficier, et avec des critères sélectifs nouveaux et différents de ceux qui distinguent les zones tendues, de sorte qu’on comprendra qu’il n’était plus judicieux de le maintenir dans le régime de base de la loi de 1989 post-ELAN (qui se résume à une liberté du prix du loyer initial, et à une simple faculté ouverte au seul bailleur, en cas de renouvellement du bail, de revoir à la hausse un loyer «manifestement sous-évalué» à l’échéance).

Les textes qui sont actualisés de cette manière sont situés aux articles 2 à 5 du décret commenté :
• Le décret du 31 août 1990, relatif la manière de procéder pour réunir et utiliser les référentiels de comparaison des loyers du voisinage en régime de base de la loi de 1989 et par le bailleur (article 17-2 : renouvellement du contrat). Il est précisé à son article 1, 1er alinéa qu’il s’applique pour le locataire dans son action en diminution de loyer lors du renouvellement du contrat encadré et ce en vertu du VI de l’article 140 de la loi ELAN, qui en décrit le mécanisme et les conditions. Cela semble peu cohérent, car on sait que le prix encadré est un prix administratif dérivé du loyer médian de référence qui est lui-même déterminé par les seuls quatre critères : date de la construction ; nombre de pièces ; caractère nu ou meublé de la location ; secteur géographique.
Or, en soumettant l’action en diminution de loyer susdite aux neuf critères plus précis du décret du 31 août 1990 - de a) à i) -, on introduit une double incertitude. L’action en diminution de loyer du locataire ne doit-elle pas seulement faire revenir le prix de renouvellement au niveau du loyer médian majoré qui aurait été excédé à l’échéance, puisqu’inversement le bailleur remonte dans son action symétrique en augmentation de loyer renouvelé au niveau du loyer médian minoré ? D’autre part, quel est l’office du juge en pareil cas ? Si on formule une proposition de nouveau loyer au terme du bail expiré avec références, c’est qu’on tend à faire fixer une valeur locative individualisée et intermédiaire par le juge, alors qu’à aucun moment le dispositif de l’encadrement des loyers n’envisage clairement cette hypothèse, puisque le loyer encadré est obligatoirement conforme aux loyers médians arrêtés par le préfet et non à un prix déterminé par la volonté des parties !
Cette disposition nouvelle est donc source de confusion, par le mélange qu’elle effectue de deux régimes désormais séparés, celui de droit commun de la loi de 1989 et celui distinct de l’encadrement figurant à l’article 140 de la loi ELAN.
• Le décret du 10 juin 2015, relatif aux conditions de mise en œuvre de l’encadrement tel qu’il se présentait avant la loi ELAN. À la place de la référence qu’il fait logiquement dans son article 2, premier alinéa au I de l’article 17 de la loi de 1989 (définition des zones tendues), on doit se reporter au II de l’article 140 de la loi ELAN, c’est-à-dire aux différentes déclinaisons du loyer médian de référence pour un loyer encadré optionnellement pour 5 ans à partir de la loi ELAN ; c’est une conséquence de la réécriture de l’article 17 susvisé effectué par la loi ELAN en son article 139-1, 4°.
Et, à la place de la référence qu’il fait dans son article 3 au II de l’article 17 de la loi de 1989 (supprimé par l’article 139 de la loi ELAN et remplacé par le principe de liberté du loyer initial en loi de 1989), on doit maintenant se reporter au III de l’article 140 de la loi ELAN. Le fond qui concerne les caractéristiques justifiant un complément de loyer encadré ne change pas.
• Le décret du 27 juillet 2017 consacré au plafonnement institué par décret annuel dit «de l’article 18 de la loi de 1989» lors d’un bail d’habitation initial ou renouvelé situé en zones tendues, régime prolongé en 2018 par le décret n° 2018-549 dispose, en son article 9, comment articuler entre eux les deux mécanismes de plafonnement en zones tendues et lequel doit prévaloir sur l’autre, encadrement optionnel ou blocage du loyer au niveau du loyer pratiqué pour le locataire sortant. On indique donc que la référence aux zones tendues faite pour les locations nues et meublées, appartenance qui est une condition nécessaire mais non suffisante pour relever de l’encadrement des loyers, est remplacée par celle à l’article 140 de la loi ELAN, § I, III, et VI. C’est une conséquence de la réécriture complète des articles 17 et 17-2 de la loi de 1989 par l’article 139 de cette même loi ELAN, expurgeant la loi de 1989 de toute mention du dispositif d’encadrement optionnel. Le fond ne change pas, qu’il s’agisse des logements vacants ou du renouvellement du bail.
• Le Code de la construction et de l’habitation (CCH) comportera deux nouveaux articles R. 634-5 et R. 635-5, rédigés dans les mêmes termes et indiquant comment le préfet peut recouvrer les sommes qui figureront dans son titre de perception comme liquidation de l’amende administrative infligée aux contrevenants au «permis de louer», dispositif d’autorisation préalable et de déclaration de mise en location des articles L. 634-5 et L. 635-7 du CCH.

Ensuite, l’article 6 et dernier du décret commenté évoque le décret n° 2015-1437 du 5 novembre 2015, pris en application de l’article 22-2 de la loi du 6 juillet 1989, relatif aux pièces qu’il est autorisé de réclamer au candidat locataire ou à sa caution, avant la souscription d’un bail d’habitation de résidence principale. Il le complète par la création d’un article 1-1, après l’article 1 qui uniformise le processus conduisant au prononcé de la sanction par le préfet et qui renvoie aux articles L. 122-1 et suivants du Code des relations entre le public et l’administration.
Une fois de plus, le pouvoir réglementaire contraint le lecteur profane à aller chercher le sens de ce texte avec d’autres sources éparses, ce qui est une méthode profondément déplorable. En fait, on indique au contrevenant l’intention de prononcer une amende contre lui, en précisant les faits et quel est le montant envisagé, et on lui fait savoir qu’il a un délai de deux mois pour présenter ses observations.
Ces orientations figuraient déjà dans la loi, à l’exception de la durée du délai. En revanche, la loi mentionnait que l’amende ne peut être prononcée plus d’un an après la constatation des faits, courte prescription à laquelle le décret ne fait aucune allusion, mais qui implique une certaine diligence de la part des services instructeurs. La volonté étant de décrire un processus propre aux différentes amendes administratives en loi de 1989, il eût été judicieux de les aligner, alors qu’elles comportent finalement des modalités distinctes (ainsi une seule phase ici suivie de l’émission discrétionnaire d’un titre de perception contre deux phases préparatoires pour l’encadrement comme ci-après explicité). Au bout du processus, le préfet émet un titre de perception qu’il recouvre comme pour le «permis de louer» sus-rappelé, et comme il le fera pour l’encadrement, c’est-à-dire comme en matière de créances étrangères à l’impôt et aux domaines.

Enfin, à l’article 1 du décret commenté, se trouvent précisées les modalités de fixation de la sanction édictée au § VII de l’article 140 de la loi ELAN, lorsque le bailleur ne stipule pas au bail qu’il soumet à son locataire le prix de loyer dans la limite du prix administratif de référence majoré (de 20 % par rapport au loyer médian) au sens du A du III de l’article 140 de la loi ELAN. Cette dernière avait bien indiqué lesdites modalités en détail de sorte que le décret est redondant et n’ajoute que la circonstance que l’amende envisagée doit être proportionnée à la gravité du manquement constaté, sans préciser à nouveau que la décision doit être motivée et indiquer les voies de recours, ce qui ne figure que dans la loi. Ainsi, pour connaître l’ensemble des modalités, il faut consulter à la fois la loi et le décret et collationner leur contenu précis et respectif ! Non seulement le décret paraphrase la loi, mais il introduit des risques de non compréhension des droits octroyés par la mise en demeure du préfet, qui doit énoncer le manquement constaté, la nécessité de mettre le contrat de location en conformité, et s’il y a lieu de rembourser les loyers trop perçus dans un délai de 2 mois, montant maximal de l’amende (dans ce cas 5 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale). Au surplus, si le texte impose au bailleur de transmettre au préfet une copie du bail mis en conformité et les preuves éventuelles des restitutions, cette exigence ne figure pas parmi les mentions obligatoires à notifier et on ne voit pas comment les services préfectoraux pourront calculer les loyers trop perçus, si ce n’est si ce n’est sur délation du preneur qui détient le titre, et sans débat contradictoire. En réalité, en suivant les termes de la loi, on observe que le préfet aura à faire une double notification. La première est une menace de sanction ouvrant un délai d’un mois au bailleur pour s’expliquer et pour fournir des justifications qui arrêtent la procédure à ce stade. La seconde notification est celle de la sanction elle-même, si la mise en demeure est restée infructueuse deux mois au moins après son envoi, sans préjudice des voies de recours qui doivent être indiquées.
Mais si l’on suit le décret, on s’aperçoit qu’il y a une phase intermédiaire supplémentaire (au §II de l’article 1 du décret commenté) impartissant au préfet d’annoncer la “couleur”, c’est-à-dire le montant de l’amende «envisagée», ce qui ouvre un 2° délai d’un mois pour que l’intéressé présente ses observations, ce qui ne se confond pas avec le même délai d’un mois pour réagir à la demande de mise en conformité du bail sur le niveau de loyer, ni avec le délai de deux mois pour se mettre le cas échéant en règle, après la mise en demeure.
Cela manque de simplicité et surtout de clarté, et entraînera nécessairement des confusions, outre que l’agenda de ce triple délai devra être tenu avec rigueur.
En dernier lieu, le préfet à un délai de deux ans à partir de la mise en demeure initiale pour émettre un titre de perception. Il semble que ce ne soit qu’à ce moment que le bailleur découvre la sanction exactement infligée (qui peut être différente de celle simplement envisagée dans la seconde phase, au vu des secondes et ultimes observations du contrevenant). En définitive, l’exigence de l’article 140 –VII de la loi ELAN est de ne prononcer la sanction que si le bailleur a été mis à même de présenter ses observations dans le mois sur le montant de l’amende, après qu’il ait fait de même et toujours sous un mois sur le principe de la poursuite, aboutit à une véritable “usine à gaz” qui sera d’autant plus inégalitaire que dans certains cas, le préfet n’aura jamais en mains les éléments chiffrés du dépassement qu’il est censé sanctionner en proportion de la faute commise.

On conçoit donc pourquoi dans son avis sur la loi ELAN du 29 mars 2017, le Conseil d’Etat ait pu ironiser sur la quasi-impossibilité matérielle des préfectures, à défaut de renforcement des effectifs, de s’emparer de ces pouvoirs et de mener à bien cette mission répressive ! On peut, en effet, tabler sur une paralysie rapide du système au vu du nombre potentiellement très élevé de sanctions à instruire, sachant qu’il est admis unanimement que dans sa phase originaire sur Paris et Lille entre 2016 et 2018, un bailleur sur deux ne pratiquait pas le loyer encadré.
A moins qu’on ait voulu un simple effet dissuasif, le temps qu’il faudra pour couvrir ce processus en surveillant les délais multiples et le manque d’éléments objectifs d’appréciation à la disposition des préfectures, la rédaction imprécise et médiocre du décret du 13 mai, la difficulté d’accès aux informations exhaustives pour les parties incriminées du fait de leur dispersion sont autant de raisons de formuler un diagnostic péjoratif sur ce nouvel avatar du «tout répressif» que la législature actuelle semble ériger en principe général, si l’on en juge par le traitement identique subi en matière des meublés touristiques.
A ce triste constat, on ajoutera que la déjudiciarisation assumée de ces sanctions, les privent du respect des règles du procès équitable qui prévoient (art. 6-1 de la CEDH) que toute obligation de caractère civil doit être déférée à un tribunal indépendant et impartial, qualificatifs qui ne peuvent évidemment pas être attribués à un subordonné hiérarchique de l’Etat qu’il représente localement.