[68-2017]- Bail commercial.- Indemnité d’éviction.- Interruption du délai de prescription.

par Bastien BRIGNON - Maître de conférences à l'Université d'Aix-Marseille
Affichages : 1439

Cass. 3e civ., 6 juillet 2017, n° 16-17.151, publié au bulletin.

Une SCI loue un local commercial à une autre société. Cette dernière demande le renouvellement de son bail commercial, que le bailleur lui refuse finalement, moyennant néanmoins le paiement d’une indemnité d’éviction. Le bailleur sollicitant, en référé, la désignation d’un expert pour évaluer l’indemnité d’éviction, l’ordonnance de référé qui prescrit l’expertise est rendue le 11 août 2008. L’expert dépose son rapport le 4 octobre 2011 et, le 4 avril 2012, la société locataire assigne la SCI en paiement d’une indemnité d’éviction. En appel, cette action est déclarée prescrite dans la mesure où, ayant été introduite avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, l’action en référé aurait produit ses effets de droit sous le régime juridique qui était applicable lors de l’introduction de l’instance ; or, en vertu de l’article 2244 du Code civil alors applicable, l’assignation en référé n’interrompait la prescription que pendant l’instance, à laquelle il était mis fin par l’ordonnance désignant l’expert. Il est vrai en effet que, sous l’empire de la loi ancienne, une action en référé n’interrompait le délai de prescription que jusqu’à l’extinction de l’instance à savoir jusqu’à l’ordonnance portant désignation de l’expert (Dalloz actualité, 28 juillet 2017, obs. M. Ghiglino). Mais la Cour de cassation casse ce raisonnement, aux visas des articles 2 et 2239 du Code civil au motif que ce dernier texte, issu de la loi du 17 juin 2008, qui attache à une décision ordonnant une mesure d’instruction avant tout procès un effet suspensif de la prescription jusqu’au jour où la mesure a été exécutée, s’applique aux décisions rendues après l’entrée en vigueur de cette loi. L’ordonnance de référé qui a accueilli la demande d’expertise ayant été rendue le 11 août 2008, soit postérieurement à l’adoption de la loi du 17 juin 2008, l’article 2239 nouveau du Code civil est par conséquent applicable. On voit ainsi que la Cour de cassation retient la date où l’ordonnance de référé a accueilli la demande d’expertise pour justifier l’application de la loi nouvelle, et non la date d’introduction de l’action en référé. Au demeurant, cela paraît conforme à la rédaction actuelle de l’article 2239 précité qui prévoit que la prescription ne recommence à courir qu’à compter du jour où la mesure d’instruction a été exécutée. En l’espèce, le rapport d’expertise n’a été déposé que le 4 octobre 2011, soit plus de trois ans après l’ordonnance de référé. La prescription de l’article L. 145-60 du Code de commerce, de deux années, n’est pas acquise puisqu’elle a été suspendue. Le preneur peut donc valablement solliciter le paiement de son indemnité auprès de la SCI. Quant à l’article 2 du Code civil, il indique qu’une loi, en principe, ne saurait être rétroactive.