[79-2017] - Cautionnement hypothécaire.- Prescription trentenaire.

par Bastien BRIGNON, Maître de conférences à l'Université d'Aix-Marseille
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Cass. 1e civ., 18 octobre 2017, n° 16-17.184, publié au bulletin.

Le 7 février 2005, en garantie du remboursement d’un prêt souscrit par l’un de ses associés, une SCI se porte caution avec affectation hypothécaire de l’immeuble dont elle est propriétaire. Le débiteur principal étant défaillant, le créancier sollicite la caution hypothécaire en exécution de son engagement. Celle-ci l’assigne en annulation de la sûreté. La cour d’appel, jugeant cette action fondée sur un vice du consentement et lui appliquant la prescription quinquennale de l’ancien article 1304 du Code civil, déclare cette action prescrite. Considérant, au contraire, que l’action est soumise à la prescription trentenaire de l’ancien article 2262 du Code civil, la Cour de cassation la juge non prescrite, essentiellement au regard de l’entrée en vigueur de la réforme de la prescription en 2008 (v. obs. Th. de Ravel d’Esclapon, Dalloz actualité, 30 oct. 2017 ; F. Reille, Elnet veille permanente, 8 nov. 2017).

Deux observations sur cette solution. D’abord, il n’est pas rare en pratique que, pour garantir la dette d’un associé, la SCI accorde au(x) créancier(s) de son ou de ses associés une sûreté, le plus souvent la SCI apportant l’immeuble dont elle est la propriétaire précisément en garantie de leurs dettes. Or, la validité de la sûreté n’est pas seulement conditionnée à sa conformité à l’objet social ; elle dépend également de sa non-contrariété à l’intérêt social (Cass. 3e civ., 13 octobre 2016, n° 15-22.824, inédit ; Cass. 3e civ., 12 septembre 2012, n° 11-17.948, Bull. civ. III, n° 121). Il faut donc être particulièrement prudent sur ces schémas familiaux très fréquents en raison du risque d’invalidé assez fort qui pèse sur ces sûretés accordées par les SCI aux créanciers de leurs associés (E. Schlumberger, Retour sur la jurisprudence relative aux garanties de la dette d’autrui octroyées par une société, in Mélanges H. Hovasse. L’ingénierie sociétaire et patrimoniale, LexisNexis, 2016, p. 169 ; S. Schiller, N. Ducrocq-Picarrougne et L. Gayet, Le cautionnement par des sociétés civiles ou commerciales dans les groupes familiaux, JCP N 2015. 1100). Ensuite, il n’est pas rare non plus que ce soit souvent la SCI elle-même qui, appelée en garantie, soulève la nullité de ladite sûreté. Or, cette nullité est-elle absolue ou relative ? La Cour de cassation estime qu’elle est absolue : «avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, l’action en nullité d’une sûreté accordée par une société civile en garantie de la dette d’un associé, qui vise à faire constater une nullité absolue, était soumise à la prescription trentenaire de l’article 2262 du Code civil, dans sa rédaction alors applicable». La difficulté se posait néanmoins de l’application dans le temps de la loi nouvelle sur la prescription. Or, selon l’article 26-II de la loi du 17 juin 2008, selon lequel les dispositions qui réduisent le délai de la prescription s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. De plus, la loi nouvelle s’appliquant à la prescription en cours, un nouveau délai de prescription (de 5 ans) avait commencé à courir le lendemain du jour de l’entrée en vigueur de ladite loi, soit le 19 juin 2008 (Cass. 3e civ., 16 mai 2012, n° 11-16.239, inédit). Partant, la sûreté ayant été souscrite en 2005, tandis que l’action en nullité avait été engagée en 2012 (le 4 juin), il fallait dès lors que cette action soit engagée avant 2013 (le 19 juin), étant donné que la prescription n’était pas acquise au jour de l’entrée en vigueur de la loi. L’action n’était donc pas en l’espèce prescrite.