[EXPROPRIATION] Décision de justice.- Indemnité d'éviction.- Bien exproprié.- Acompte.- Locataire

par Guilhem GIL - Maître de conférences à Aix-Marseille Université
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Cons. constit., 16 avr. 2021, n° 2021-897 QPC

Article paru dans les Annales des Loyers N° 05 de mai 2021 

Le Conseil constitutionnel a été saisi (Cass. 3e civ., 21 janv. 2021, n° 20-40.061 et 20-40.062) d’une question prioritaire de constitutionnalité visant l’article L. 323-3 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2014-1345 du 6 novembre 2014. Les requérants reprochaient à ce texte de réserver le bénéfice d’un acompte sur l’indemnité d’éviction aux seuls locataires d’un bien faisant l’objet d’une procédure d’expropriation lorsque le transfert de propriété est opéré par voie d’ordonnance d’expropriation et d’en exclure les locataires d’un même bien dont le transfert de propriété est opéré par cession amiable. Dès lors, les dispositions litigieuses auraient non seulement institué une différence de traitement contraire au principe d’égalité devant la loi mais également auraient méconnu la libre concurrence entre opérateurs économiques et la liberté d’entreprendre.  Le Conseil a relevé que les dispositions contestées instituent bel et bien une différence de traitement entre les locataires d’un bien exproprié selon que le transfert de propriété du bien qu’ils louent a été opéré par une ordonnance d’expropriation ou par une cession amiable. Après avoir souligné qu’en permettant au locataire d’un bien exproprié d’obtenir le paiement d’un acompte sur l’indemnité qui lui est due, le législateur a entendu faciliter sa réinstallation, le Conseil a constaté que, peu important que le transfert de propriété du bien loué procède d’une ordonnance d’expropriation ou d’une cession amiable consentie après déclaration d’utilité publique ou dont le juge a donné acte, les conséquences sur les droits du locataire sur ce bien ainsi que sur son droit à indemnisation sont identiques. En outre, ni l’ordonnance d’expropriation ni les stipulations d’une cession amiable conclue entre l’expropriant et le propriétaire du bien n’ont pour objet de déterminer les conditions d’indemnisation et d’éviction du locataire. Il en a conclu que la circonstance que le transfert de propriété du bien loué soit opéré par une ordonnance d’expropriation ou par une cession amiable ne rend pas compte, au regard de l’objet de la loi, d’une différence de situation entre les locataires. La différence de traitement n’étant pas davantage justifiée par un motif d’intérêt général, le Conseil a jugé que les dispositions contestées méconnaissaient le principe d’égalité devant la loi et, sans qu’il ait été besoin d’examiner les autres griefs, les a déclarées contraires à la Constitution. Estimant que l’abrogation immédiate des dispositions déclarées contraires à la Constitution aurait pour effet de priver les propriétaires et locataires occupant un bien exproprié de la possibilité d’obtenir le versement d’un acompte et entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives, le Conseil a pris le parti de reporter au 1er mars 2022 la date de cette abrogation et a précisé que les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.