Droit foncier public | Modalités particulières d’acquisition de la propriété publique : L’incorporation «naturelle» du fait de la montée des eaux

par Samuel DELIANCOURT Vice-Président du TA d’Orléans, Professeur associé, Université Jean Monnet
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ImmobilierN’en déplaise aux sceptiques, la montée des eaux est une réalité. Les différents rapports s’accordent sur une élévation globale du niveau de la mer comprise selon les scénarii entre 0,28 cm et 1,021 mètres en 2100, avec des conséquences au niveau local importantes, que ce soit en termes humain, environnemental, économique et financier2.

Dans moins d’un siècle, ce sont 506 195 hectares qui seront affectés, 53 158 locaux d’activités représentant 7,5 milliards d’euros, 243 km de voies ferrées, 1 765 km de routes structurantes, mais également 449 457 résidences principales pour un montant total estimé à 86 milliards d’euros. Les communes dont l’action en matière d’urbanisme et la politique d’aménagement doivent être adaptées aux phénomènes hydro-sédimentaires entraînant l’érosion du littoral ont été identifiées3 et sont actuellement au nombre de 3174.

Face à un phénomène connu et décrié depuis des décennies, quelques textes ont - enfin - été adoptés5, destinés à donner des outils divers aux collectivités, en particulier en matière d’urbanisme6, avec l’établissement pour les communes concernées d’une carte locale d’exposition de leur territoire au recul du trait de côte7, l’institution d’un droit de préemption8 ou encore la création d’un bail réel d’adaptation à l’érosion côtière (BRAEC)9. Des obligations d’information10 dans le cadre des transactions immobilières pèsent sur les vendeurs11. A également été mise en place pour six années une stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte12. Des stratégies locales (SLGITC) peuvent également être élaborées par les collectivités. Au-delà de ces préoccupations et enjeux forts, se pose la question de la propriété des terrains submergés chaque année et à chaque instant par la mer.

«Naturellement», le domaine public maritime naturel de l’État s’agrandit par l’incorporation des surfaces gagnées par la mer sur la terre. Cette situation emporte des conséquences juridiques qu’il importe d’étudier. Après avoir rappelé ce que recoupe le domaine public maritime naturel (I) et les formes possibles de délimitation (II), ce transfert juridique consécutif à l’action naturelle des flots, les collectivités n’étant nullement tenues de protéger les propriétés riveraines (III), est automatique et n’emporte aucun droit à indemnisation des propriétaires riverains dépossédés (IV).

Vous avez lu 21% de l'article paru dans les Annales des Loyers N° 12 décembre 2024

À suivre

La consistance du domaine public maritime naturel appartenant à l’État

La délimitation relative et contingente du domaine public maritime naturel

L’absence d’obligation des collectivités publiques de protéger les propriétés privées

L’incorporation gratuite des terrains recouverts dans le domaine public maritime de l’État


1. Voir les rapports d’étude du Cerema, Projection du trait de côte et analyse des enjeux au niveau national – Horizons 2050 et 2100, 2024, 38 p. ; Projection du trait de côte et analyse des enjeux au niveau national – Échéance à 5 ans, 2024, 28 p.
2. Chambre régionale des comptes d’Occitanie, Montpellier Méditerranée métropole et Commune de Villeneuve-lès-Maguelone, Exercices 2018 et suivants, 2024, 62 p. Ce rapport relève que le lido de Villeneuve-lès-Maguelone, laissé naturel, a reculé de 12 mètres entre 2009 et 2018 et que, dans 30 ans, l’intégralité de la plage actuelle sera recouverte par la mer. Voir égal. Voir IGA et IGED, Financement des conséquences du recul du trait de côte - Comment accompagner la transition des zones littorales menacées ?, novembre 2023.
3. Art. L. 321-15, Code de l’environnement.
4. Décret n° 2022-750 du 29 avril 2022  ; Décret n° 2023-698 du 31 juillet 2023 ; Décret n° 2024-531 du 10 juin 2024.
5. Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience ; Ordonnance n° 2022-489 du 6 avril 2022 relative à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte. V. Zalewski-Sicard (dir.), Loi « Climat et résilience » du 22 août 2021 : Recul du trait de côte et questions diverses, JCP N 2021, n° 1315 ; Farrugia (V.), Ordonnance du 6 avril 2022 relative à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés : Mise en place d’outils juridiques d’adaptation à l’érosion côtière, JCP A 2022, n° 2286.
6. Seguin (A.), Meiller (E.) et Berthol (C.), Recul du trait de côte et adaptation de l’urbanisme, Énergie - Environnement - Infrastructures 2024, étude 22.
7. Art. L. 122-22-1 et s., Code de l’urbanisme.
8. Art. L. 219-1, Code de l’urbanisme. Les acquisitions de terrains réalisées sont destinées à prévenir les conséquences du recul du trait de côte sur les biens situés dans les zones délimitées. L’usage de ce droit constitue une simple possibilité pour les communes concernées qui peuvent décider de le mettre en œuvre en prenant en considération, notamment, les ressources dont elles disposent (CE, 13 oct. 2023, Assoc. nat. des élus du littoral et AMF, n° 464202). V. Ramus (S.), Loi Climat : nouveautés en matière de préemption, entre création et retouches, JCP N 2021, n° 1319.
9. Art. L. 321-18 et s., Code de l’environnement.
10. Lafond (J.), Vente d’immeuble et recul du trait de côte, JCP N 2023, n° 1153.
11. Décret n° 2022-1289 du 1er octobre 2022 relatif à l’information des acquéreurs et des locataires sur les risques.
12. Art. L. 321-13 A, Code de l’urbanisme.

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