Clap de fin sur le changement d’usage

par François De La Vaissière - Avocat honoraire au barreau de Paris
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L’essentiel

Le juge européen et le juge national se rejoignent sur l’opportunité d’encadrer rigoureusement les locations meublées de courte durée, et sur la manière dont la France le conçoit.

Cass. 3e civ., 18 février 2021, n° 17-26.156, 19-11.462 et 19-13.191

Le commentaire

Nous avions tenté de synthétiser les raisons de l’irrésistible progression parmi les bailleurs investisseurs de cette forme de mise en location, présentant une rentabilité sans commune mesure avec les locations classiques, puisque s’affranchissant notamment du carcan législatif protecteur du locataire en habitat principal, assorti de l’ordre public intégral (cette revue, La saga des meublés touristiques, mars 2020).

Nous avions, ensuite, rapporté combien d’espoirs étaient placés dans le droit supranational pour contrarier la réglementation française en matière de protection de l’habitat locatif traditionnel vis-à-vis des locations de courte durée à une clientèle de passage. Nous avions souligné que la saisine le 15 novembre 2018 de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) sur renvoi préjudiciel de la Cour de cassation avait eu pour effet de geler de nombreuses procédures pendantes devant les juges du fond à l’initiative des communes, enclines à faire sanctionner pécuniairement les très nombreux bailleurs ne respectant pas les restrictions résultant des articles L. 613-7, L. 613-7-1 et L. 651-2 du Code de la construction et de l’habitation (CCH). Les trois arrêts commentés sonnent le glas de cette diversion, dans le prolongement du célèbre arrêt de la CJUE du 22 septembre 2020 (instances C 724/18 et C 727/18) déclarant ces textes et leur corollaire répressif compatibles avec la directive dite « services » n° 2006/123/CE du 12 décembre 2006 (décision que nous avions commentée dans cette revue, novembre 2020).

Toutefois, en laissant au juge national le soin de décider si, dans le prolongement de la doctrine ainsi établie, le droit positif interne était concrètement protecteur à tous les niveaux d’un certain nombre de critères d’application d’un tel régime, censé freiner le dépeuplement des villes en favorisant le maintien d’un parc locatif apte à satisfaire les besoins élémentaires des populations ne pouvant accéder à la propriété, la CJUE n’avait pas anéanti toutes les espérances. C’est aujourd’hui chose faite.

 

Il est facile de comprendre que deux conceptions s’affrontaient et que l’une a gagné le combat judiciaire qui s’est instauré autour de l’idée que le propriétaire d’un bien immobilier, qu’il soit un particulier ou un institutionnel, devait pouvoir conserver une complète liberté de gestion et pouvait donc choisir d’échapper à une réglementation estimée liberticide en privilégiant ce qui lui assurait le meilleur rapport financier, même si ce devait être au détriment d’un intérêt général insondable imposant de lutter contre la pénurie locative chronique de notre pays, dont cet individu n’est nullement le responsable direct. Si l’on doit constater, pour schématiser, que les institutions judiciaires ont opté pour l’intérêt général contre l’égoïsme des individus, ce qui parait estimable (§ I), on doit cependant conclure sans sourciller que ce faisant, une telle issue peut s’avérer inacceptable pour le sens commun si cette opinion critique s’appuie sur le fait que le changement d’usage auquel est impitoyablement soumis l’usager lui reste en pratique inaccessible lorsqu’il ne dispose en réalité d’aucune alternative, comme c’est le cas à Paris (§ II). Cela aurait dû conduire la Cour de cassation à retenir qu’on ne saurait, dans un régime démocratique biberonné à l’état de droit, poser des conditions d’accès à un droit qui ne peuvent pas réellement être remplies, alors que précisément c’est ce dont la CJUE lui demandait de vérifier l’existence. Enfin, la question de la preuve de l’affectation selon une date de référence unique au 1er janvier 1970 reste à la charge de l’administration et écarte de la prohibition de nombreux cas en relevant normalement, peu important ce qui a pu advenir depuis cette date (§ III).

Article paru dans les Annales des Loyers N° 04 d'avril 2021

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