[18-2025].- Reprise pour exploiter.- Contrôle a posteriori.- Étendue.- Force majeure

par Didier KRAJESKI, Professeur des universités, Toulouse Capitole
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Cass. 3e civ., 7 mai 2025, n° 23-15.142, publié au bulletin

Article paru dans les Annales des Loyers N° 07-08 de Juillet-Août 2025

La reprise pour exploiter fait l’objet d’un double contrôle : a priori et a posteriori. L’existence de ce double contrôle pose immanquablement la question de leurs domaines respectifs. Plus précisément, la question se pose de savoir ce que le preneur peut discuter à l’occasion du deuxième surtout quand il n’a pas déclenché le premier en déférant le congé dans le délai. On le comprend, il n’est pas question de faire du contrôle organisé dans l’article L. 411-66 du Code rural et de la pêche maritime un rattrapage du preneur négligent. La jurisprudence sur ce point paraît bien établie. Elle considère que l’article L. 411-66 peut être invoqué par le preneur qui n’a pas déféré le congé. En revanche, il ne peut «se prévaloir de l'inobservation, dont il avait eu, à l'époque, connaissance, des obligations du bénéficiaire de la reprise édictées par l'article L. 411-59 du Code rural et de la pêche maritime». Nous ne faisons ici que reprendre la formule que l’on trouve dans l’arrêt (Déjà : Cass. 3e civ., 23 sept. 2021, n° 20-13.987, cette revue, n° 2021.11, n° [30-2021].- Reprise pour exploiter.- Contestation a posteriori.- Faits connus du preneur.- Irrecevabilité, et les obs.).

Dans notre affaire, le bailleur a émis un congé pour reprise au profit de son fils. Le preneur a invoqué la possibilité de proroger le bail. L’article L. 411-58 précise qu’aucune cession n’est possible pendant cette période. A la suite de la prorogation, le bailleur émet un nouveau congé non contesté par le preneur. Cependant, plus de deux années plus tard, ils sollicitent leur réintégration en se prévalant du fait que le repreneur a consenti un bail à son épouse. Il le justifie en précisant que le contrôle des structures a changé. Il ne peut plus bénéficier du régime de la déclaration en raison de l’ajout, par la loi du 13 octobre 2014, d’une nouvelle condition.

Cette affaire conduit à envisager trois questions.

Le preneur peut-il invoquer le manquement du repreneur à son exploitation d’exploiter personnellement les biens pendant neuf années ? La réponse est positive dans la mesure où, en application de la jurisprudence précitée, il invoque un fait non connu de lui dans les quatre mois du deuxième congé. Adopter cette position, compte tenu du fait que le preneur avait déféré le premier congé, c’est considérer que le second congé ne fait pas corps avec le premier. La question ne se posera plus guère. Le Conseil constitutionnel a, en effet, décidé que l’obligation d’émettre un nouveau congé n’était pas conforme à la constitution (Cons. const., 11 mars 2022, déc. n° 2021-978 QPC, RD rur. 2022, repère 5, J.-J. Barbiéri). La loi n’ayant pas été modifié dans le délai imparti, le bail prend désormais automatiquement fin à l’expiration du délai de prorogation.

Le repreneur peut-il faire valoir que le changement relatif au contrôle des structures est un cas de force majeure ? Sur le principe, la jurisprudence autorise le repreneur à justifier le non-respect de ses obligations en invoquant un fait présentant les caractères de la force majeure. Cependant, la Cour de cassation approuve les juges du fond de ne pas l’avoir retenue en l’espèce. Il faut dire que le congé a été émis après l’adoption de la loi du 13 octobre 2014, et que le congé courait jusqu’à fin octobre 2016, le nouveau schéma étant adopté fin juin 2016. Cela laissait largement le temps au repreneur de solliciter une autorisation d’exploiter à défaut de ne pouvoir bénéficier du régime de la déclaration. On constatera que la Cour de cassation précise que la cour d’appel «en a exactement déduit que la détermination du seuil de surface de déclenchement du contrôle des structures ne pouvait constituer un événement imprévisible et irrésistible caractérisant un cas de force majeure exonérant M. [N] [W] de son obligation d'exploiter personnellement les parcelles reprises». Dans l’arrêt ouvrant la rubrique, elle se limité à un «a pu déduire». On voit son degré d’adhésion à chacune des décisions !

Enfin, le preneur, réintégré dans les lieux, et ayant fait valoir la prorogation du bail, retrouve-t-il la faculté de céder à son descendant ou y-a-t-il définitivement renoncé ? A vrai dire, la réponse paraît assez évidente. L’impossibilité de la cession n’est prévue que pendant la période de la prorogation. Le preneur étant à nouveau en place par application de l’article L. 411-66, il retrouve les prérogatives juridiques liées à cette position contractuelle. La réintégration n’est donc pas seulement matérielle : l’exploitant est réintégré en qualité de preneur à bail rural. C’est ce qui se déduit de l’arrêt : «l'interdiction de toute cession du bail posée par l'article L. 411-58 précité étant limitée à la période de prorogation du bail, un preneur qui a bénéficié d'une telle prorogation peut, après l'expiration de celle-ci, se prévaloir des dispositions de l'article L. 411-66 précité pour demander sa réintégration avec cession du bail dans les conditions de l'article L. 411-35 du Code rural et de la pêche maritime».


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