[57-2017] - Défaut de paiement des fermages.- Indivision.- Assignation.- Indivisaires représentant moins des deux-tiers.- Irrégularité de l’assignation.

par Didier KRAJESKI, Professeur des Universités Toulouse Capitole
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Cass. 3e civ., 5 octobre 2017, n° 16-21.499, publié au bulletin.

L’arrêt intervient dans le cadre d’un litige ayant déjà donné lieu à un précédent arrêt de la Cour de cassation. Elle y rappelait que la résiliation d’un bail rural portant sur des biens indivis peut être à l’initiative d’indivisaires titulaires de deux-tiers des droits indivis en vertu de l’article 815-3 du Code civil (Cass. 3e civ., 18 nov. 2014, n° 13-12.488.- Déjà : Cass. 3e civ., 29 juin 2011, n° 09-70.894, Bull. civ. III, n° 113). La solution est donc intéressante sur le volet indivision de l’affaire. Elle permet de cantonner l’exigence d’unanimité en matière de baux ruraux : celle-ci est requise pour la conclusion du bail et un acte équivalent tel que la renonciation à un congé qui aurait pour effet de permettre le renouvellement du bail (Cass. 3e civ., 17 nov. 2016, n° 15-19.957, cette revue 2017.01-02, n° 05-2017). Ce sont des actes graves qui diminuent la valeur des biens et limitent durablement les prérogatives des indivisaires sur les biens. En revanche, la règle des deux-tiers s’applique pour des actes de gestion de la relation tels que la résiliation ou le congé en fin de bail (Cass. 3e civ., 17 nov. 2016, n° 15-19.957, précité). À l’inverse, ils ont un effet plus positif sur la valeur des biens et ils permettent aux indivisaires de retrouver l’intégralité de leurs droits sur ceux-ci. Du point de vue du droit de l’indivision, on peut donc affirmer que les solutions sont désormais connues et font consensus au sein des juridictions.

L’affaire a cependant une autre dimension qui ne cesse de relancer le contentieux : il s’agit de son volet procédure. Le présent arrêt y contribue dans la mesure où il casse l’arrêt rendu par les juges du fond et renvoie devant une autre cour d’appel. La question que l’on ne parvient pas à régler provient des conditions dans lesquelles l’assignation a été délivrée : elle l’a été au nom de deux personnes décédées et par deux personnes protégées sans l’intervention de leur protecteur. L’assignation peut-elle être sauvée ? Ce qui n’est plus discuté est le fait que l’irrégularité ne touche pas les autres auteurs de l’assignation. Cependant, cette dernière n’est valable, pour notre affaire, que s’il reste encore suffisamment de personnes pour parvenir au seuil des deux-tiers ! Ce n’est manifestement pas le cas et les juges du fond et la Cour de cassation s’opposent sur les possibilités de régulariser l’assignation. Le présent arrêt est ainsi l’occasion de rappeler que l’irrégularité d’une assignation délivrée au nom d’une personne décédée n’est pas susceptible d’être couverte. Pour les personnes protégées, la solution est plus subtile. L’irrégularité est susceptible d’être couverte par l’intervention volontaire des représentants en cours d’instance. Dans notre cas, cela ne suffisait toujours pour atteindre le seuil des deux-tiers. En tout cas, il est reproché à la décision d’appel de ne pas en faire le constat pour sauver l’assignation.

L’affaire est encore l’occasion de procéder à un rappel. En l’espèce, la demande de résiliation se fondait sur le non-paiement des fermages. Ce dernier est constitué par deux défauts de paiement persistant trois mois après mise en demeure. La mise en demeure étant un simple acte de conservation, elle ne nécessite pas le respect de l’exigence des deux-tiers (Cass. 3e civ., 31 octobre 2007, n° 06-18338, Bull. civ. III, n° 187).