[2018-10] - Droit immobilier et changement climatique : le droit immobilier peut-il sauver le climat ? .-.

par Olivier Gout - Professeur des universités Université J. Moulin - Lyon 3
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Le droit immobilier est aujourd’hui devenu un des piliers de la lutte contre le changement climatique, ne serait-ce que parce que les consommations énergétiques des bâtiments représentent, à elles seules, environ 40 % de la consommation énergétique totale et contribuent pour près du quart aux émissions nationales de gaz à effet de serre. L’analyse du droit positif montre que la participation du droit immobilier à cette quête universelle s’opère par le biais deux procédés. En effet, tantôt le droit du climat est imposé autoritairement au droit immobilier par le biais de différents outils exposés dans cette étude, tantôt le droit du climat est proposé au droit immobilier, les acteurs de la discipline pouvant spontanément adopter des comportements vertueux, animés par un intérêt général écologique et climatique.

Le style oral de cette contribution a été conservé.

 

Encore contesté par certains, le changement climatique n’est malheureusement plus aujourd’hui une simple hypothèse si l’on se reporte aux rapports alarmants du GIEC, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat qui, créé en 1988 par le programme des Nations Unies pour l’environnement et l’Organisation météorologique mondiales, «fournit des évaluations détaillées de l’état des connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques sur la changements climatiques, leurs causes, leurs répercussions potentielles et les stratégies de parades». Des risques d’une grande ampleur guettent la population terrestre si l’on ne parvient pas à limiter l’augmentation du réchauffement climatique lié aux activités humaines sous le seuil de + 2 degrés. La plupart des pays développés ont pris conscience de l’importance des enjeux environnementaux si bien que des progrès non négligeables ont été accomplis pour mieux concilier développement économique et préservation de l’environnement. La communauté internationale tente quant à elle, tant bien que mal, de répondre à ce défi afin de prévenir l’irréparable.

En plus de la science, par le biais notamment d’innovations technologiques et industrielles pouvant permettre de réduire la pollution et la consommation d’énergie, le droit a son mot à dire et ne saurait être exclu de cette entreprise déterminante des années et des décennies à venir, consistant à offrir aux générations futures des conditions de vie identiques à celles que nous connaissons. C’est d’ailleurs par le biais de traités internationaux, instruments juridiques par excellence, que l’on parvient, ou du moins que l’on espère parvenir, à lier les Etats à cette quête planétaire. Le rôle du droit international public dans la lutte contre le changement climatique est ainsi reconnu depuis longtemps. Mais tel n’est pas toujours le cas des autres disciplines juridiques, même si les juristes commencent dans leur majorité à être sensibilisés aux rôles qu’ils peuvent jouer, tout comme aux solutions offertes par le droit, pour s’investir dans cette lutte universelle. Sous l’impulsion des environnementalistes, les études et travaux doctrinaux se sont multipliés ces dernières années, ce dont il faut s’en féliciter. Le droit doit, en effet, aujourd’hui être mobilisé dans toutes ses facettes normatives, s’appuyant sur une multitude de normes, de disciplines et d’acteurs pour s’attaquer à l’enjeu global que constitue le changement climatique.


S’inscrivant pleinement dans ce mouvement, le droit immobilier est incontestablement devenu aujourd’hui un des piliers de la lutte contre le changement climatique. Pour quelle raison ? Tout simplement parce que les consommations énergétiques des bâtiments représentent, à elles seules, environ 40 % de la consommation énergétique totale et contribuent pour près du quart aux émissions nationales de gaz à effet de serre. Cela est colossal. L’immeuble représente ainsi le principal gisement d’économies d’énergie exploitable immédiatement. Il a d’ailleurs été souligné que l’enjeu du changement climatique dans l’immobilier résidentiel et tertiaire était certainement le plus grand défi des décennies à venir, plus encore que dans l’industrie ou dans le domaine de l’automobile.


A cela, il faut ajouter que le domaine du «droit immobilier» est particulièrement vaste, ce qui offre, il faut en convenir, autant de leviers d’actions. Ce terme générique regroupe, en effet, l’ensemble des textes juridiques du droit public comme du droit privé concernant les immeubles, par opposition aux meubles. On s’accorde ainsi à considérer qu’il vise notamment le droit de la construction, le droit de l’urbanisme, le droit des hypothèques, le droit des servitudes légales et conventionnelles, le droit des baux civils, commerciaux ou ruraux, le droit de la mitoyenneté, le droit de la copropriété, le droit du domaine public, ainsi que le droit applicable à certaines professions spécialisées, comme les agents immobiliers, les notaires, les architectes, les maîtres d’œuvre, etc. Il existe également des spécificités pour le droit des assurances, le droit du crédit sur lesquelles il est inutile de s’attarder ici. En énonçant le champ d’application, pour ne pas dire l’univers du droit immobilier, on comprend aisément qu’il ne peut être ignoré par le droit climatique, ou, inversement d’ailleurs, le droit immobilier ne peut ignorer le droit climatique.


Il faut encore préciser que la notion de «droit du climat» ou de «droit climatique» a fait son apparition sous la plume d’auteurs qui ont fait de l’appréhension par le droit de la lutte contre le changement climatique un de leur objet d’étude et qui ont montré que ce «droit climatique» est à la fois globalisé, en ce sens qu’il se construit à tous les niveaux des ordres juridiques, et englobant, car s’appuyant sur une multiplicité de disciplines, de normes et d’acteurs.


Quoi qu’il en soit, ces propos liminaires conduisent à considérer que couple «climat et immobilier» est appelé à se côtoyer pendant de longues années, si ce n’est pour toujours. Il s’agit certes d’un mariage de raison mais qui est vital eu égard à l’urgence écologique à laquelle nous sommes confrontés. Le secteur de la rénovation immobilière est, à cet égard, tout particulièrement visé, car il est admis aujourd’hui que le parc immobilier existant est celui qui offre, à lui seul, le plus gros potentiel d’économies d’énergie. C’est ainsi que l’article L. 100-4 du Code de l’énergie, énonce que «la politique énergétique nationale a pour objectifs : [...] 7° De disposer d’un parc immobilier dont l’ensemble des bâtiments sont rénovés en fonction des normes «bâtiment basse consommation» ou assimilées, à l’horizon 2050, en menant une politique de rénovation thermique des logements concernant majoritairement les ménages aux revenus modestes [...].


Comment alors le droit immobilier appréhende-t-il le changement climatique ? Ou, pour présenter les choses autrement, quid de l’intégration du droit du climat dans le domaine immobilier ? Compte tenu des enjeux, il n’est pas possible de s’en remettre à la seule bonne volonté des propriétaires, qu’il faut en effet convaincre d’engager des dépenses d’investissement sans rentabilité apparente. Il convient dès lors d’imposer le droit du climat au droit immobilier. L’Etat peut montrer l’exemple, comme en atteste une nouvelle fois la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement puisque ce texte précise que tous les bâtiments de l’Etat et des établissements publics seront soumis à une rénovation énergétique d’ici 2020 qui aura pour objectif de réduire d’au moins 40 % les consommations d’énergie et d’au moins 50 % les émissions de gaz à effet de serre de ces bâtiments. De même, les logements sociaux doivent faire l’objet d’une rénovation dès lors qu’ils dépassent un certain seuil de consommation d’énergie. Mais il est aussi possible d’imaginer, en plus de l’action des autorités publiques et de nouvelles normes impératives, un recours à des instruments volontaires, notamment par le biais de contrats vertueux ou de clauses que les acteurs économiques et sociaux pourraient spontanément mettre en place. Ils peuvent en effet avoir le sens de l’intérêt général climatique et écologique. Certains n’hésitent pas ainsi à voir dans le contrat un complément de la politique de développement durable, voire un outil de protection efficace de l’environnement, et l’on ne peut qu’abonder en ce sens. Le contrat est, en effet, devenu «… indispensable en sa qualité d’instrument d’élaboration de normes consensuelles et d’instrument de collaboration des pouvoirs économiques privés aux objectifs de politique économiques. Le pluralisme des ordres juridiques et des sources amène en effet à user du contrat comme outil de cohérence et d’internormativité», au point qu’il serait désormais, dit-on, l’un des principaux vecteurs du pluralisme juridique environnemental.
Quoi qu’il en soit, ces propos liminaires montrent qu’il convient de distinguer des séries hypothèses : celles où le droit du climat est imposé au droit immobilier (I), et celles où le droit du climat est susceptible d’être spontanément adopté par les acteurs droit immobilier (II)

 

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